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galères et looses à buenos aires, mais ailleurs aussi
21 mai 2008

humeur

Excécrable, pensa-t-il. La cravate ajustée à la bonne longueur tombait sans un faux pli sur la boutonnière de la chemise blanche repassée, effleurant à peine de la pointe la boucle dorée de la ceinture noire. Le costume sobre mais moderne, la coupe courte mais jeune, l’enterrait à jamais dans le cliché ahurissant de l’abruti de jeune cadre dynamique fier de son diplôme et de son avenir à 40 k€ dans 5 ans.

 L’honnêteté n’a-t-elle aucun intérêt dans une entreprise ? Déguisé en jeune con, il allait persuader une autre outre bouffie de suffisance qu’il l’enviait de bosser dans cette société. Combien sommes-nous, se demandait-t-il, en tirant sur sa chemise pour qu’elle rentre dans son pantalon. Combien d’autres gens se rendent compte qu’ils se déguisent chaque matin, pour jouer une comédie qu’ils exècrent : aller faire semblant 8 h par jour de se sentir concerné par les intérêts de son entreprise ? Combien de petits chefs, de petits gagnants allaient analyser, décortiquer, décrypter des postures, des attitudes, des tournures de phrase pour tenter de détecter le potentiel du cadre, la veulerie face à l’autorité, l’acceptation d’horaires extensibles non payés ? Qui sont-ils enfin ces contremaîtres, ces chefs de service zélés, dévoués à la rentabilité de leur entreprise. Ceux qui vivent pour elle, par elle à travers elle, à lorgner sur une responsabilité, la plus minime soit-elle, sur une augmentation infime qui les remerciera de sacrifier leurs week-ends, leurs soirées, leurs vie ne vaut-elle vraiment que ça ? Une existence d’assistés, incapables de vivre sans les caresses de leur maître, la reconnaissance paternaliste de leur ambition minable par leurs supérieurs, leurs dieux. Ne se sentent-ils pas miséreux, ridicules, à quêter une miette d’attention qui justifierait leur dévouement fidèle d’esclaves surpayés ?

Et il flippait, pérorant ainsi devant son miroir, tandis que l’heure de son rendez-vous approchait. Est-ce là tout ce que l’avenir peut me réserve ? Travailler, d’accord, faute de s’ennuyer. Mais en contrepartie, subir cette violence tapie, sous-jacente, rampante ? Cette dictature de la pensée dominante d'Adam Smith, prêchée par des gens qui ne l'ont jamais lu, et qui s’insinue, lubrique, entêtante comme une vérité naturelle. La rentabilité maximale, le profit comme seule boussole, la majoration des dividendes, la consommation, la croissance.

 Décidément ces managers en herbe manquent d’imagination. La cotation du titre, la recette de l’actionnaire est-ce là tout ce qu’ils croient motivant ? La suprématie du fort économique sur le faible. Seuls les plus voraces résistent, et continuent d’entraîner les salariés sur une voie dénuée d’intérêt, vers un objectif chimérique, une cible dorée en carton. Le temps libre, une vie saine, un développement collectif et équitable de la cité, du pays, du monde, ne serait-ce pas le but à atteindre ? La culture, l’art, ces moyens de supporter la vie terrestre leur sont-ils étrangers ?

 

C’est la revanche de la brute mathématique. Du forçat de la répétition, de l’anti-créatif béat. Traumatisé dans l’enfance par la rédaction, par le dessin, par les demandes d’imagination et de choix personnels, il ne sait pas décider pour lui. S’imposant des contraintes créées de toutes pièces par des maîtres en mal de pouvoir, il reprend à son compte les grands objectifs de ce siècle : profit, rentabilité, consommation, pouvoir de l’argent. Son activité effrénée cache son manque de sens, le néant de son existence, la vacuité de sa présence sur terre. Cet homme est un non-être, il n’a pas de raison d’exister. Et terrorisé par la perspective de sortir de la folie ambiante et de s’en inventer une personnelle, il oublie sa propre vacuité en s’inventant un rôle de surveillant de prison mentale.

Y a-t-il seulement des mots pour décrire cette peste, cette gangrène qui gagne peu à peu le corps social lorsque l'Homme confond les objectifs et les moyens d’y parvenir ?

Quelle alternative reste-il ? Il les compta sur ses doigts en les énonçant tout haut : le suicide, la fonction publique, l’éducation, l’ermitage, la drogue et l’Art.

N’étant formé pour aucune de ces alternatives il décida d’opter pour un costume de super héros et accepta de travailler pour une multinationale de l’énergie renouvelable.

Il enterra ses questionnements, éteint ses convictions, chercha un appartement avec ascenseur, investit dans une machine à laver, puis déménagea pour avoir un garage, une voiture, partit en vacances à la Martinique, se maria, divorça, attrapa un cancer, mourut comme un con alors qu’il n’avait jamais fumé et fut oublié aussi sec. Le pharmacien qui lui vendait son valium fut assez attristé jusqu’à ce que l'achat d'un nouvel écran 16/9ème lui fit penser à autre chose.

Et ce fut tout.

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Commentaires
A
Merci damich pour ces lignes très vraies, très crues et auxquelles je n'ai trouvé qu'une solution que minime... ^___ ^
M
j'en vois une autre encore : B²H & co dans quelques années ... enfin si se fait un jour !
B
Il lui reste une dernière alternative : devenir écrivain.
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